Panorama des atteintes sur internet pouvant mener à des poursuites pour contrefaçon de marque
Hélène Lemaire est spécialiste en droit de la propriété intellectuelle.
Pour protéger un signe, l’entreprise aura souvent eu le réflexe de déposer une marque afin de pouvoir empêcher un tiers d’utiliser le signe protégé ou un signe similaire dans le même secteur d’activité. Il s’agit d’un outil de lutte contre la contrefaçon mais la marque ne permet pas à l’entreprise de lutter contre toutes les atteintes sur internet. L’entreprise qui souhaite agir pour y remédier, doit s’interroger sur la nature de l’atteinte.
Prenons pour exemple une page Facebook contenant des critiques à l’égard de l’entreprise. Les propos qui y seraient tenus relèveraient de l’opinion des internautes, ainsi l’opportunité d’agir devrait donc être analysée à la lumière de la liberté d’expression.
En revanche, si l’éditeur de la page Facebook ou certains des intervenants cherchaient à se faire passer pour des représentants de l’entreprise, il serait possible d’invoquer l’usurpation d’identité (article 226-4-1 du code pénal). Les fondements de la diffamation ou de l’injure issus de la loi du 29 juillet 1881 (critiques visant la personne morale ou le dirigeant, à l’exclusion de toute critique des produits et services) et le dénigrement des produits ou service pourraient être invoqués sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil.
Sur le terrain de la contrefaçon, si l’intention générale n’est pas d’induire en erreur le public quant à l'identité des intervenants, qu’il n’est pas possible de rechercher un risque de confusion, la page et les commentaires n’étant pas des usages dans la vie des affaires, notre page Facebook fictive essuierait probablement le même sort que celui subit par les demandeurs dans les célèbres affaires Danone, Areva et Esso, où la contrefaçon n’avait pas été retenue (CA Paris, 4ème ch. Section A, 30 avril 2003 Olivier M. Réseau Voltaire/Compagnie Gervais Danone ; Cour de cassation, 1ère civ, 8 avril 2008 ; Cour de cassation, chcom, 8 avril 2008).
Qu’est-ce qui relève de la contrefaçon de marque sur internet ?
En vertu des principes de spécialité et de territorialité, la marque ne peut subir une atteinte que pour les produits et services pour lesquels elle est enregistrée et pour les territoires visés. Pour que puisse être qualifiée la contrefaçon, il faut une atteinte aux fonctions de la marque, dont la principale est la fonction de garantie d’origine.
Il conviendra de se poser certaines questions. Des produits ou services sont-ils concernés, ce qui permettrait de rechercher une atteinte à l’un de ceux figurants dans l’enregistrement ? L’atteinte a-t-elle lieu dans le pays dans lequel le signe est enregistré ? Existe-il une atteinte à l’une des fonctions de la marque? Si la marque est ancienne, n’encourt-elle pas la déchéance, à savoir a-t’elle été sérieusement exploitée pour les produits ou services litigieux dans les cinq dernières années ?
Dans le cas de produits identiques ou similaires à ceux de l’entreprise commercialisés sur un site web, identifiés par le même signe ou presque que celui enregistré à titre de marque, et que le public susceptible d’acheter à partir de cette page internet est celui visé par la marque, le fondement de la contrefaçon de marque est pertinent, du moment que la marque n’est pas susceptible d’encourir la déchéance. Dans le cas où les signes ou les produits / services ne sont pas complètement identiques mais comportent des similitudes fortes, il demeure nécessaire de démontrer un risque de confusion, qui serait d’autant plus facile à démontrer que les ressemblances entre les signes sont importantes.
En revanche, la qualification de contrefaçon est plus incertaine dans certaines hypothèses. Si les produits litigieux ne sont pas à destination du public du pays d’enregistrement de la marque, il sera nécessaire de rechercher si le site internet est néanmoins susceptible de viser ce public ; par exemple, un site canadien écrit en français est susceptible de viser le public français. De plus, si la marque jouit d’une forte notoriété possible à démontrer, elle peut bénéficier d’une protection au-delà des classes visées dans son enregistrement.
Dans un cas de cybersquatting, la qualification de contrefaçon de marque est délicate car il n’y pas forcément d’usage du nom de domaine pour des produits et services. En effet, les noms de domaine sont en général exploités sous la forme d’un site parking, ou demeurent inexploités. Il existe des procédures de règlements des litiges adaptées, comme la procédure UDRP, SYRELI pour la France, qui disposent de leurs propres conditions de mise en œuvre. Elles permettent d’obtenir le transfert ou l’annulation du / des noms de domaine réservés frauduleusement en utilisant le droit de marque sans avoir à qualifier la contrefaçon.
Dans l’hypothèse où une requête portant sur une marque, effectuée dans un moteur de recherche comme Google ou Yahoo, fait ressortir une annonce publicitaire menant à un site tiers, il est probable qu’un concurrent ait réservé la marque comme lien sponsorisé et que la contrefaçon puisse être qualifiée (voir alors la jurisprudence sur le programme Adwords de Google).
En tout état de cause, même si l’entreprise semble légitime à agir sur le terrain de la contrefaçon de marque, le contexte devra être bien analysé avant toute action, et la décision devra être prise en fonction des relations commerciales entre les parties, des usages de la profession, ou du risque de publicité négative pour l’image de l’entreprise.
À propos de l'auteur :
Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, Hélène Lemaire est une jeune diplômée de l’ESSEC et de l’Université Paris-II Panthéon-Assas. Dans le cadre de ses études et de son année d’apprentissage au sein du groupe TF1, elle a écrit une thèse professionnelle sur les moyens de lutte contre la contrefaçon de marque sur Internet.